1

Sujet : En attendant le printemps

"Le mois de juillet s'est installé, avec ses valses d'orages puissants et inhabituels sur ces belles Baronnies. Malgré la pluie et la foudre des milieux d'après midi, les stagiaires découvrent avec joie les airs reposés du matin.
Mais rien à l'horizon pour se ménager quelques heures de vol...
Puis une fenêtre, un week-end plus libre que les autres, une prévision météo qui s'annonce seulement moyennement orageuse. Un signe, un appel, une boule au fond du ventre. Enfin, l'instinct volatile reprend ses droits.

Onze heures et demie, au décollage de Bergiès sud avec Nans, le ciel prend une allure grandiose, magnifique, presque indécent à une heure matinale. Sur le point d'exploser, je file me réfugier en l'air malgré la brise encore menue. Le site commence seulement à se réveiller, malgré son orientation idéale. Je m'échauffe dans de petites bulles teigneuses, avant de cerner enfin le vrai ascenseur pour le grand saut du départ avec Nans.

Une première longue transition permet de faire connaissance avec la masse d'air... Comment vas-tu aujourd'hui ? Quel sera ton caractère ? Laisse moi te toucher et ne mords pas... Le moment aussi de dégourdir son bassin, de se faire porter par les doux balancements de son aile.
Les falaises de Chamousse se rapprochent tranquillement, au rythme de mon appuie sur l'accélérateur et sur les B.

Rois des lieux, les vautours semblent peiner à monter. Tout paraît encore calme à une heure où tout devrait déjà être en mouvement. C'est comme ça, il suffit de se mettre au rythme de l'air.
Je travaille donc une première petite colonne, qui me dépose une centaine de mètres au-dessus des falaises. Puis une seconde, décalée à un endroit qui ne me paraissait pas si naturel. Mais peu importe, il suffit de s'abandonner à l'inattendu, savoir lâcher sa rationalité pour laisser place à l'imprévu.

A 2500 mètres, sous le nuage le plus beau du secteur, la vue s'ouvre enfin. Seul le pic de Bure, au loin, pourrait prétendre me gêner. Mais aussi ces cumulus déjà bien développés au sud de ma position, dans la vallée du Jabron.
Je prends quelques secondes pour contempler la région depuis ce balcon dans les nuages, et une idée germe dans mon esprit embrumé par l'atmosphère ouatée des barbulles. Et si j'en faisais le tour ? Le tour de ce pays des lavandes ?
Sans plus réfléchir, je mets cap au nord-est, toutes voiles dehors, vers l'infini et l'au-delà des Baronnies.

Je survole alors un méli-mélo de petites collines, aux rondeurs rassurantes, enivrantes, parsemées d'une touche de violet ici et là. Enfin je récupère une petite face sud-est, qui m'offre un appui, quelques bulles. Puis un col, et une chose invisible qui me tire dans sa direction, quelques grains de pollen en suspension dans un entre deux mondes, les bouts d'ailes de ma voile qui frétillent. Et une magistrale envolée vers le blanc des nuages... La belle journée est en route, les dés son jetés. Je n'ai plus qu'à jouer correctement mes cartes.

De retour à 2600 mètres, je me laisse glisser sur Beaumont et ses antennes, où le cycle ne m'a pas attendu. Je ne trouve qu'une zone d'ascendance large mais faible, sans réel noyau délimité.
Mais mes 2400 confortables mètres me permettent de partir le cœur léger en direction de la crête de bonnet rouge, grande arête courant vers l'ouest au départ de Serres.
Je l'atteins dans son tiers supérieur et profite de l'alimentation en brise sur la face sud pour avancer vers l'endroit où je pense sortir le monstre de son sommeil. Il me happe enfin, et m'envoie virevolter à 2700 mètres... La masse d'air est simplement exceptionnelle. Toutes ses tranches sont instables, et le petit vent d'est crée de magnifiques confluences à la rencontre des brises d'ouest, véritables geysers du ciel.

La transition au-dessus du col de l'Armanenche m'offre une copieuse descendance, probablement mal placé à la croisée de plusieurs brises du secteurs.
Peu importe, de retour au-dessus des faces sud, la masse d'air me soutient de nouveau, et me permet de cavaler tout accéléré, croisant deux rigides qui remontent eux aussi toutes barres tirées vers l'est, alors que je m'enfonce vers l'ouest.
Je rencontre de nouveau une zone ascendante, vaste, que j'ai du mal à cerner correctement. Je laisse naviguer mon aile seul, aux aguets de ses changements de cap pour enfin m'enfoncer dans le tube, décalé de pratiquement un kilomètre au sud. 2900 mètres, 14h, la vie est belle au royaume des cieux.

Cependant, je commence à m'inquiéter doucement du développement de certains nuages... De jolies tours se dressent maintenant sur certains sommets du massif, et notamment sur le Soubeyrand que je laisse sur ma gauche alors que je survole les gorges de Verclause en direction de Rémuzat.
Le paysage est magnifique en dessous de moi et il est rare de pouvoir venir les survoler tant les brises d'ouest sont habituellement fortes dans le secteur, créant de véritables murs pour nos pauvres morceaux de chiffons. Alors je me régale, admire ces vallées découpées dans la pierre, véritables refuges pour nos paisibles amis. Et cette masse d'air me laisse tout le loisir de la contemplation. Si puissante, mais si calme à la fois, concentrée en certains points pour m'envoyer balader quelques centaines de mètres plus haut.

Le nuage à Villeperdrix est maintenant une tour blanche, presque inquiétante. Alors je file m'y réfugier. Je sens la confluence dans le secteur, l'espère de toute mes forces, tout est réuni. Puis une descendance... Et l'extase. Une colonne d'une puissance inouïe me soulève et m'emmène, à 8m/s, vers le gris. Au vu de sa puissance, j'anticipe la sortie pour éviter le piège. Je m'échappe donc tout accéléré vers le bord d'attaque du nuage, que je rejoins avec de la marge. Je me retourne pour la postérité, mais aussi pour remarquer que j'ai changé de gamme de nuage. Et le prochain est encore plus gros...

Je m'en approche avec toutes les précautions nécessaires, sachant qu'il en est au stade congestus. Mais autour de moi le ciel et totalement bleu et la plaine de Nyons me tends les bras.
Je reste donc sur le bord, m'en approche tranquillement. La base est d'un gris très foncé, et un aigle y joue la fille de l'air. Cela monte assez franchement, sur le bord, en ligne droite. Je me permets quelques tours, puis je décide de fuir, ayant atteint une altitude nécessaire pour franchir la clue de Nyons. Je jette un œil à mon GPS, et surprise : je n'avance qu'à une dizaine de kms/h ! Ce nuage est un véritable aspirateur, il a crée sa propre brise et délivre maintenant sa puissance. Pieds au plancher, je dégage maintenant de son emprise en direction de la vallée du Rhône.

Je me retourne pour la deuxième fois du vol pour contempler le mastodonte. Il est en pleine explosion.
Quelques minutes plus tard, alors que je rejoins maintenant Nyons dans un bout de confluence entre la tendance ouest et les brises, mon nuage est un petit cunimb aux aspects filamenteux, en déconfiture sous lequel il pleut abondamment. Mais pour moi, le ciel est bleu, les oliviers s'étendent paisiblement sous mes pieds. Je viens de réussir une traversée d'est en ouest des Baronnies, en un peu plus d'une heure trente depuis le raccrochage de Bonnet Rouge, ce qui n'est pas un exploit par le nombre de kilomètres, mais tellement beau et technique. Une fois de plus, l'adage se confirme : il suffit d'être au bon endroit au bon moment.

Mais, tout se gâte sur le massif, chemin du retour,  alors que je profite de quelques thermiques sur la plaine, près de la bien nommée Mérindol-les-oliviers. Le Ventoux est maintenant dans les ténèbres, et le Soubeyrand en prend le chemin. Entre les deux, je perçois peut-être une porte de passage ténue. Je me jette donc de nouveau sur le massif. La crête de Beauvoisin est à portée d'aile et m'offre des conditions rugueuses. La masse d'air est maintenant très puissante, et je suis moins tranquille par rapport à l'état du ciel.
Le Ventoux se parsème maintenant d'un peu de lumière blanche, alors que le Soubeyrand étanche sa soif estivale. Entre eux, un passage. Je continue. Je suis si près du but...

Je transite maintenant au-dessus de Buis-les-Baronnies. Je trouve un bon appuie dans ce passage toujours délicat, puis trouve le thermique du retour... Je l'enroule délicatement, en essayant maintenant de me détendre...
Mais au fil de ma montée, la route devant moi se referme. Entre les deux cunimbs au nord et au sud, le beau joufflu sur Banne est maintenant un congestus en pleine activité. Je n'hésite pas beaucoup plus longtemps, connaissant l'évolution météorologique en ce mois de juillet tourmenté.
Je m'enfuis de cette vallée de la Rochette, vrai calvaire de la récup, et lui préfère celle de Sainte-Euphémie.

La pluie tombe légèrement maintenant, venant faire retomber la température. Je contemple le ciel et  n'éprouve pas de regrets malgré de le soleil encore jeune de cette belle journée. Le ciel est menaçant et il faut savoir le quitter pour mieux le retrouver au prochain rendez-vous. Tracer des lignes dans le ciel c'est goûter le repos qu'on ne pourra jamais connaître ailleurs, en dehors de ce royaume des rêves exhaussés. »

Dernière modification par Max (23-12-2013 21:13:20)