Sujet : Les Baronnies, chemins de traverse
Le mistral me donne le temps de coucher quelques lignes sur mon vol de 100 kms, lundi dernier dans les Baronnies ( http://parapente.ffvl.fr/cfd/liste/2011/vol/20120506 )... et de préparer mon vol de demain ! Oui , j'ai de la chance. On me met en congés les bonnes journées.
Lundi 20 n'était pas ce que l'on appelle une journée fumante, c'était une bonne journée, sans plus. Mais quand on regarde les autres voler pendant une semaine, qu'on ne fait que voler sous ces gros camions de biplaces sous lesquels on ne ressent rien de la masse d'air, horrible sensation, on se sent pousser des ailes lorsque, enfin, l'on peut renfiler son cocon et se laisser bercer par le tangage, le roulis et le lacet de sa voile favorite.
Le dimanche, j'avais déjà pu tester la masse d'air... mais surtout le vent fort. 50 kms de vol à détordre la voile dans des conditions cisaillantes. Mais bloqué au nord par les cunimbs, au sud et à l'ouest par le vent et la brise, j'avais du me résigner à poser dans la vallée de Rosans, sous la chaleur écrasante d'un 19 août qui restera pour beaucoup teinté de plaf à 5000 m au-dessus de la grande Meringue blanche, qui restera pour moi un moment mémorable de stop en hypoglycémie ! 4 heures exactement. Hasard total, une fille qui a appris le parapente au Poupet me prendra en stop ! Au fin fond des Baronnies...
Revenons donc au lundi. L'envie folle de vol, tout comme Nans et Tim avec qui nous montons au déco Sud de Bergiès. A 11h35 on se met en l'air. Sortie de déco, le +3 nous attrape. Nous sommes en retard ! En dix minutes, nous sommes à 2100m et nous entamons la première transition. Je n'ai pas vraiment de plan de cross en tête, je compte juste rallier d'abord le décollage de Laragne. Et ensuite, advienne que pourra.
Je reste bien conscient de ce que j'ai appris dans toutes ces PWC. Je fais attention à tout ce que je peux contrôler. Mon objectif: tenter de tout optimiser. Car je sais dorénavant que les bonnes places en Coupe du Monde se jouent au détail près. Chaque cross est le moment de l'entraînement, ne jamais partir sans objectif.
Cette première transition est très porteuse, j'adapte donc mon régime de vol en conséquence. Je ralentis ma voile en la bridant aux B dès que cela flotte, je ré-accélère dès que le vario passe sous le -1m/s. Ainsi je sors une transition de 8 kms à 12 de finesse et 50 km/h de moyenne.
(Aparté: Le placement/flottement est peut-être une des choses les plus importantes en parapente et il demande un relâchement musculaire important, surtout au niveau abdominal et au niveau du bassin. Il faut se laisser aller dans la sellette, laisser la voile "naviguer" sans la brider au frein (mis à part si vous traverser une zone ascendante), tout en étant près à dégainer l'accélérateur. Je fais l'analogie avec le ski. Il y a d'énormes techniciens mais qui jamais ne trouvent "la glisse". Ils savent techniquement tout faire mais jamais ils n'iront aussi vite que les autres. Car ces autres ont "la glisse", ils ont cette décontraction psychique qui permet le relâchement physique total. Cela marche pareil en parapente. En vol d'entraînement, je me suis amusé à me mettre dans le sillage de Charles Cazaux. Tout semble fluide dans les mouvements, tout est détendu. Il vous grappille mètre d'altitude par mètre d'altitude, et là vous vous dîtes, il y a quelque chose. Le relâchement et l'entraînement...).
Nous enroulons maintenant de concert sur les falaises de Chamousse, idéalement orientées au sud-est. Je lance la transition en direction de la crête de Chabre. J'adopte le même principe. Dès que cela porte, je ralentis aux B. Je ne touche pas aux freins. Je rentre dans une zone franchement ascendante au-dessus du col St-Jean que je traverse, en réalisant un tour de contrôle qui me permet de me replacer plus au nord de ma ligne actuelle et de regagner cent mètres en ligne droite. De quoi arriver confort sur la crête de Chabre, où les conditions sont encore molles. J'attends mes deux acolytes qui betonnent plus que moi. J'ai le temps, il est tôt. Nous refaisons un plaf ensemble et allons tourner B1 juste après le déco de Laragne.
Je décide de faire demi-tour. Mon idée, repartir vers Séderon, puis allonger vers Buis-les-Baronnies, à l'ouest. Nous sommes face à un petit sud-ouest. Je laisse Tim et Nans faire le retour à leur rythme. J'engage un autre objectif: enquiller la crête de Laragne le plus rapidement possible. Je change donc de stratégie. Au plaf max, je substitue la notion de sélection de VZ. De plus je reste dans la tranche d'altitude la moins ventée, entre 0 et 200m au-dessus de la crête de Chabre. Lorsque je rencontre un vario supérieur à 2.5m/s, je m'arrête faire 2/3 tours pour rester dans la bonne tranche. Je gère le tangage à l'accélérateur et je ne touche qu'aux B si besoin est. Mais cette IP6 est tellement amortie que j'avance poulie-poulie sans soucis malgré les beaux déclenchements.
Me revoilà à Chamousse où je fais le meilleur plaf de la journée à 2600m. Mon idée est de prendre par les extérieurs ouest du massif, derrière le Mont Ventoux, pour rejoindre Buis. J'ai peur que la ligne droite soit trop soumise à quelques verrous en brise. J'attaque donc une transition de 10 kms, en passant vertical de Bergiès, pour rejoindre la face sud de Buc. On m'a toujours dit que le thermique y était atomique donc j'ai hâte de le tester. En effet, je sors un bon 5m/s intégré qui m'envoie à 2100m. Les plafonds sont très variables et je m'attends à ce qu'ils descendent encore plus vers l'ouest... Je repasse en mode plaf max.
J'avance sur les petites crêtes derrière le Mont-Ventoux. Le vent de Sud contourne cette majestueuse montagne et s'oriente en sud-est dans un espèce de retour. L'endroit est assez turbulent et le placement plutôt compliqué. La face sud-ouest au-dessus de Savoillan , un peu avare en générosité, ne me donne qu'un plaf à 1750 dans du 1m/s. C'est ce que je craignais. Le plaf descend, les thermiques faiblissent. Ce n'est pas grave, cela met un peu de piment dans le vol !
Nouvelle face sud-ouest 5 kms avant Buis, poussé par de l'est en début de crête puis contré par de l'ouest en fin de crête. L'écoulement des flux est compliqué aujourd'hui !
Je ne trouve qu'un misérable soaring, qui me permet tout juste de reprendre 100m. J'attends quelques minutes dans le coin mais rien ne part. Je fonce donc au-dessus du rocher de St-Julien où j'espère trouver un thermique de sillage. Le terrain est plutôt torturé et quelque chose déclenche, ce qui me permet de reprendre difficilement 200m pour assurer un petit 1400m.
Je suis à Buis, les conditions sont faibles, j'hésite. La prudence voudrait que je rentre maintenant. Mais il est encore tôt, et des faces idéalement exposées au sud-ouest m'appellent inéluctablement.
Je soigne donc bien ma transition au-dessus de Buis, en zone porteuse. Je gonfle ma trajectoire vers la plaine avant de repartir vent 3/4 arrière vers les falaises. Cela marche, je raccroche sans trop de soucis et passe au-dessus du site de Beauvoisin. Je suis 3/4 vent de face juste au-dessus des barres rocheuses mais je me maintiens. Il est d'ailleurs étonnant de constater qu'exploiter un relief 3/4 vent de face est toujours plus rentable en terme de gain d'altitude que de l'exploiter vent arrière dans la même orientation de brise. Semble t-il que, si l'on est assez proche du relief, il est possible de rebondir face à des espèces de compressions qui permettent de monter (parfois dans la turbulence, il ne faut pas de leurrer), alors que vent arrière on ne fait au mieux que glisser doucement, sans jamais monter.
J'enquille ainsi toute la crête en thermo-dynamique mais le manque de déclenchement thermique m'inquiète maintenant. Je trouve de quoi monter tout au bout tout de même, à 1300m, à la rencontre de toutes les brises du secteur. Je ne peux maintenant plus aller plus loin à l'ouest, je rentre !
Et, en effet, je ne fais que glisser sur le retour. Je retraverse Buis, où il n'y a qu'un terrain de foot pour poser.
Une combe me paraît canalisatrice. En effet, ça zérote mais rien ne part. Je file sur les faces sud, bien poussé par l'ouest. Les bulles sont impossibles à enrouler, la brise est forte et lèche le relief. Plan de repli, je reviens me tanquer dans la combe ouest. Je ne pourrai exploiter les faces sud qu'une fois au-dessus alors il me faut un déclenchement au vent que je puisse dériver.
Grand ouf de soulagement quand un 0.5m/s me sauve la mise. Je le dérive, il s'accélère doucement à 1m/s ce qui me permet de remonter à 1300m, puis 1400m dans la dernière partie de la baionnette thermique. Je plane maintenant au-dessus d'un plateau légèrement orienté au sud-ouest. J'optimise mes placements car des zones sont imposables et celles posables doivent être à 5h de marche de la première route. Oui, les Baronnies, c'est sauvage ! Au bout du plateau, je commence à me faire descendre copieusement, je n'ai plus le choix, je dois me jeter sous le vent dans la vallée de Mévouillon/Séderon pour ne pas avoir à marcher trop. Je crains de ne pas reussir à rentrer à l'école et de ne pouvoir boucler le triangle...
Coup de commande à gauche, je pars plein vent de cul sous le vent... et au lieu de tomber dans un trou, je tombe dans un thermique étroit et puissant... de plus en plus large mais toujours turbulent... Voile sur la tranche capitaine ! Je suis dans la confluence entre le retour d'est dans la vallée de Mévouillon crée par le sud et la brise d'ouest venant de Buis qui se déverse du plateau que je viens de traverser. Bingo ! Je suis en finesse du bouclage !
J'enroule encore un peu , la balise de Bergiès annonce 22/41 de sud ce qui est normal à cette heure dans le coin, en plein thermique, à part l'orientation qui est normalement ouest. Je boucle, enroule un peu en vallée pour passer les 5 heures de vol et rentre me poser à l'école, près pour le biplace de 17h30 ! Et heureux !
Les vols en solitaire ont cette saveur si particulière de la pleine réussite personnelle, de ce contentement que l'on ressent une fois posé, d'avoir pris ses propres décisions, d'avoir réfléchit seul, d'avoir échafaudé des schémas mentaux sur l'aérologie, d'avoir adopter les bonnes stratégies et le bon parcours ! C'est un plaisir différent du vol de groupe ! J'aime les deux, mais j'avoue avoir un petit faible actuellement pour le vol en solitaire en cross, histoire d'aiguiser mon analyse personnelle, ne pas me laisser influencer par l'autre.
C'est la première fois qu'un triangle de 100 bornes est bouclé au départ des Baronnies apparemment, de mémoire de moniteur ici depuis 22 ans, car l'environnement rend les vols techniques, un peu comme chez nous, dans un autre style que la plaine.
Demain, je compte bien réussir un vol beaucoup plus ambitieux sur le même mode. J'ai un projet de triangle FAI de 180 kms entre Séderon, Le col de Lus la Croix-haute, la crête des Monges côté Est de la Durance et un retour par les faces Sud du Jabron.
Je m'amuse tellement en vol en ce moment, j'ai tellement appris des meilleurs pilotes mondiaux et j'ai encore tellement à apprendre, que j'ai envie de tenter des choses nouvelles. Les itinéraires classiques des Alpes du Nord m'intéressent de moins en moins. Je préfère la difficulté des chemins de traverse et la joie que l'on ressent à les essayer. Le massif des Baronnies est tout indiqué !
Demain, je vole jusqu'à la nuit...