Sujet : Et si le bisontin avait raison
Question idiote ! Le Bisontin ne peut pas avoir raison. En tout cas, pas en ce qui concerne le vol. Il peut avoir raison sur plein de choses, on est d’accord ! Mais je n’ai pas d’idées sur les sujets pour lesquels il pourrait briller, voire exceller. Par contre, pour ce qui est de voler ; là, il ne peut pas avoir raison !
C’est du moins ce dont je suis sur, alors que nous montons à Poupet avec Yves. Yves me rappelait ce vol d’avril 2006 où, appuyé sur mon barreau d’accélérateur, je filais me réfugier sous un superbe cumulus qui surplombait Montfaucon. IL y avait alors sur le site quelques Bisontins qui discutaient de la meilleur façon d’accommoder les rognons de marcassins en attendant que le ciel tourne à l’orage pour pouvoir déclarer la journée « non favorable au parapente ».
Évidemment, l’un d’eux avait eu l’idée de lever le nez et, m’apercevant, avait déclaré que j’étais cinglé, puisque j’enroulais du + 5 sous un cumulus qui fatalement deviendrait gros et gourmand, et que le parapente, c’est pas ça, c’est décoller quand y a plus rien et essayer quand même de passer par-dessus la ligne THT qui est là juste en dessous, c’est beaucoup plus raisonnable !
J’explique donc à Yves que tout n’est qu’une question d’observation de rythme et de placement dans la masse d’air. Je suis alors loin de me douter que je vais avoir tout loisir de mettre en application les théories que je lui soumet.
Sur ce, nous arrivons à Poupet. Il n’est plus temps de discuter, il faut étaler la voile, préparer la sellette, d’autant plus que le boomerang du site est déjà dans les starting blocs !
Quelques minutes plus tard, j’enroule donc mon premier thermique au bout du Dafois. Sur le plateau, la couleur est clairement annoncée : cunimb. Bon, au sud, front orageux, au nord, bleu et devant, bleu avec des petits cums qui ne demandent qu’à grossir. Ça sent la plaine.
On a bien pris quelques centaines de mètres avec Pascal, mais ça dérive compliqué. Typique des journées orageuses, avec les thermiques qui partent en dérive en direction du front. Et Pascal qui décide de me fausser compagnie. IL s’en va le bougre, il part à la Côte. Lui toujours si enclin à se précipiter dans la plaine, hop, il se jette sur la Côte ! Bon, ben tant pis, j’irai tout seul devant.
Et me voilà, finalement, entre la Chapelle et Ivrey, dans rien, avec le Dafois à l’ombre, un -3 affiché au vario, et un premier Mill…. De D…., suivi de plusieurs autres. Encore une journée à la C…, j’aurais mieux fait de bosser.
Du coup, le thermique au Nord Ouest, je ne le laisserais pour rien au monde ! veut pas savoir que l’ombre du congestus est sur Clucy. J’enroule ! tiens, d’ailleurs, j’enroule même pas, c’est pas la peine, l’epsilon qui est devant, elle monte mieux que moi en ligne droite. Hein, comment tu dis ? Elle est où déjà l’ombre ? Il me prend soudain l’envie de jouer à la coupe du monde. Je pousse le deuxième barreau, détrimé, direction devant. Ça tombe bien, c’est juste dans la direction opposée du nuage qui fait de l’ombre derrière ! les choses sont bien faites.
Sur Port-Lesney, enfin, je relève un peu le barreau et reprends du gaz dans une ascendance. Il avance vite ce truc, c’est pas vrai, même pas le temps d’enrouler ! Je repars en ligne droite. C’est marrant ces journées où la ligne droite est plus rentable que le 360. comment on fait pour descendre avec la Icepeak ? si je rentre chez moi ce soir, il faudra que je demande à mon fournisseur. En attendant, c’est à nouveau deuxième barreau au bout des orteils (pourquoi ais-je oublié de le raccourcir ?) que je file en direction de Cramans. À ce moment là, je suis devant un sacré dilemme : soit j’enroule et je prends le risque de ne plus revoir la terre ferme autrement qu’emmailloté dans mes 24m² de voile après un bond à 8 000 m, soit j’avance et je prends le risque de poser. Je sais trop ce que peut offrir un front d’orage quand il est bien géré. Le problème c’est qu’il n’est pas livré avec le mode d’emploi. IL peut très bien s’arrêter, où ralentir, ou au contraire se mettre à débouler comme un fauve en bousculant tout sur son passage. Je me souviens juste de la prévision météo : « orages localement violents ». Je n’ai plus qu’à espérer ne pas être « localement » !. Je me bagarre comme ça entre 700 et 1200 mètres jusqu’à arriver vers Germigney (ou un peu avant ou après..) où un thermique me redonne espoir. Mais après quelques tours à ne rien comprendre à l’aile, je me rends compte que j’ai oublié de la trimer. Serein, le pilote ? tu parles. Où elle est, l’ombre ? à tiens elle s’est arrêtée à Chamblay. Elle bouge plus. Bon, ça me laisse le temps de chercher un peu. En fait de chercher, c’est le thermique suivant qui me trouve, et je fais alors mon premier plein (1900 je crois) en étant un peu détendu. Devant c’est bleu. Je me lance en direction de Dole, pied au plancher, et je tombe. Et voilà, trop loin du système, ça plombe, c’est classique. Je me laisse glisser au dessus des cultures qui, agitées par le vent, laissent présager un atterrissage sympathique. À 450 m au vario, la voile fait une brusque embardée et vire dans un beau noyau. Je n’ai plus qu’à baiser la main intérieure pour le cueillir et me concentrer sur les mouvements de la voile en oubliant la dérive. Quelques minutes plus tard, je laisse Dole à ma droite pour filer au Sud-Ouest en direction de petites nuelles qui se forment à l’avant du front. Surtout ne pas trop s’éloigner de la limite et surveiller en même temps que les nuelles ne se mettent pas à sur-développer en faisant des petits. Je navigue comme ça entre 800 et 1600, croisant régulièrement des rapaces en ballade, jusqu’à une ville dont l’entrée est gardée par un bien joli château (Pierre de Brest). Au dessus, deux rapaces s’ébattent gaiement. Je les rejoins et nous montons ensemble. J’en profite pour scruter le paysage. Ah, un grain se déverse à l’est et semble se rapprocher. Normalement ça devrait soulever la masse d’air devant, et devant c’est là où je suis ! Je lève la tête. Les petites nuelles qui surplombaient la ville sont devenues de beaux soufflés, et de nouvelles formations bourgeonnent joyeusement dans la direction de mon vol. Il est où déjà le deuxième barreau ? jamais je n’étais aussi bien monté en ligne droite. Le jeu est très simple : Sachant que le bord du nuage avance dans la même direction que moi, vais-je réussir à le doubler avant de rentrer dedans. Ça parait vachement ludique comme ça. Et je gagne la manche. Dans le bleu, je relâche un peu la vitesse et admire les coteaux qui s’étendent devant moi. Pas de doute, ce sont des vignobles, je suis en Bourgogne et la ville au nord, ça doit être Dijon ! (en fait c’est Beaune et mes connaissances géographiques sont toujours aussi mauvaises). Je flotte comme ça un moment. Je savoure l’instant, pensant effectuer un long plané jusqu’au pied des vignes (faudra bien choisir le cépage) et ose même imaginer que ça pourrait encore repartir. Bip ! Bip Bip ! ça repart ! je lève la tête. Oups, troisième manche : cette fois-ci, ça forme d’une manière très étalée, pas comme précédemment dans une seul direction ! il n’est donc plus question de dégager à gauche où à droite, faut sortir devant, et je monte comme une fusée. Le deuxième barreau n’est pas suffisant, le nuage est en train de me sauter dessus. C’est con, mais à ce moment là je pense à Jean Paul ! Celui qui se tenait tout voûté et qui dit, avant de partir pour une sacrée transition : « n’ayez pas peur ». c’est con, hein, de penser à des trucs comme ça dans ces moments là. Je fini par me redresser dans le cocon. A la verticale il devrait faire suffisamment de traînée ! ça dure encore quelques secondes, puis le vario se calme et moi aussi. À 1800 m, je passe dans le bleu et me retourne. Derrière moi, une immense galette surplombe une rue de nuages axée Perpendiculairement à ma trajectoire. En fait, j’aurais peut être du monter un peu plus ! (petit joueur, va).
Dernière phase : se laisser glisser sur le plateau en face de moi. Je passe entre Puligny-Montrachet et Meursault, en direction des falaises qui surplombent un petit village charmant (Baubigny). Derrière, c’est plat, il y a la N6. c’est ce qu’il me faut. Je survole la ferme Bel-Air, jette un coup d’œil sur la carrière qui est située au sud, un peu trop loin. Le thermique m’attrape une nouvelle fois. Je me marre. Ça ne finira donc jamais ? je trime j’enroule et remonte à 1 600 ! puis je me laisse glisser dans le lit du vent. Plus loin, un village (Molinot) encerclé de bois sur un petit ressaut du relief. Une buse s’amuse au dessus. Moi aussi : 1 700. Direction un autre village, une autre crête : 2 000 ! Ce soir, je dors en Vendée ! Devant moi, une nouvelle rue de nuages se forme, axée Nord Sud. Je file dessous et à mon grand étonnement, je ne trouve même pas de dégueulante. Ça se met à monter de plus en plus fort. Des rapaces passent à fond les gamelles au dessus de moi. Ils remontent vers le nord. Je fais 2 400 m ! Alors j’avance à nouveau plein ouest.
L’aile semble soudain s’arrêter. Elle attaque un coup de lacet, se tend comme un arc, part derrière, plonge brutalement, s’arrête à nouveau. Le vario Hurle ! j’ai le temps de jeter un coup d’œil sur l’écran : il est tout blanc ! Je suis en train de tomber du ciel, et ma voile tombe avec moi. Les cumulus, encore si beaux quelques minutes avant ne sont plus que d’insignifiantes barbules. Pour me rassurer, je gueule « tout le monde descend », puis demande quand ça s’arrête ? Faut dire, le sol semble vouloir m’accueillir les bras ouverts. Quand enfin mon aile semble retrouver un régime de vol stabilisé, je lis 1200 m. Je ne sais plus vraiment quoi faire, du coup. Les reliefs devant moi me semblent soudainement hostiles. Je ne m’y vois pas gérer les possibles rafales que cet affaissement de la masse d’air pourrait générer. Je reste donc en bordure. Je longe vers le sud, jusqu’à un petit village que je choisis comme étant mon atterrissage officiel. J’ai bien encore 300 m de gaz. Ça me laisse le temps de penser calmement à mon approche après avoir choisi un terrain dégagé des sources de turbulence potentielles (Qu’est ce qu’ils ont comme haies, là-bas).
Je pose à 8 heures sous le nez d’une petite dame qui me propose gentiment de me conduire jusqu’à Autun. Le village où je suis posé s’appelle Reclesne. À Autun, La gare est déserte. Je n’ai pas un centime en poche. Nous sommes dimanche soir. Je téléphone à Agnès pour les rassurer sur mon sort. Elle me propose de m’envoyer son fier destrier pour me ramener. « Euh, je voudrais pas abuser quand même, mais bon d’accord, enfin je vais quand même faire un bout de stop. »
2 heures et demi et 35 Km (quoi, ma gueule ?) plus tard, Eric me récupère à Nolay. Sur le retour, nous rejouons la journée chacun de notre point de vue. IL me raconte comment, avec Agnès, ils ont pu voir cette énorme galette se former au dessus de la bourgogne et la remarque qu’il fit : « peut être qu’il est dessous, raph ! ».
J’étais dessous, en effet, et j’y suis toujours d’ailleurs ! Pas facile de redescendre sur terre après six heures pendant lesquelles voler et vivre se confondent aussi étroitement. Comme j’envie alors ces rapaces que j’ai croisés durant ce vol et qui sont si entièrement eux même ! Ce petit faucon, rencontré à 2 400 sous cette dernière rue, et qui battait aussi vigoureusement des ailes. Le ciel entier semblait lui appartenir.
Monsieur le Bisontin, je vous fais mes excuses ! Peut-être suis-je cinglé, et peut-être avez-vous raison. Mais, franchement, c’est tellement bon que ça mérite bien qu’on y mette quelques plumes dans la balance, non ?
Dernière modification par raph (23-05-2008 20:31:35)