Sujet : connaissez-vous Pierre André?
« Ben non » ! me répondrez-vous ! Et c’est normal, si vous n’avez jamais trainé vos ailes fatiguées au pied des monts du Jura Suisse, un soir d’été, le pouce tendu vers un infime espoir de ne pas continuer à pied jusqu’à ce que vos jambes vous imposent de vous coucher là, sous un arbre ou dans une grange. Ce 13 Août 2009, je marche justement le long de la route qui arrive à Sonvilier. Il fait presque nuit, et j’envisage sérieusement d’interrompre mon périple pédestre. Le vol a été fantastique. Des conditions généreuses mais tactiques jusqu’à Pontarlier, puis une transition alpine jusqu’au Chasseron où le paysage prend une autre dimension avec les reliefs et les lacs de Genève et Neuchâtel. Ensuite, vol au nuage à l’aplomb de la crête, de Fleurier au creux du van, avant lequel un thermique un peu décalé sur le vallon me permet de reprendre suffisamment pour basculer sur le vallon de « la Sagne » (voir Google earth). Là , la brise Ouest m’oblige à tracer en « point zigzag » (les couturières comprendront) jusqu’à la tête de rang où je décide de mettre en application ce à quoi je pensais la veille au soir, à savoir, être capable de me mettre en attente sur une zone après l’avoir identifiée comme un site de vol local, et réinitialiser à partir de là la dynamique de cross. J’attends donc un bon quart d’heure, pariant sur le passage au soleil du vallon qui s’étend sous mes pieds pour croiser une nouvelle ascendance et passer par-dessus la « vue des alpes » en direction du Chasseral. Deux coucous en perte d’altitude derrière la CTR de La Chaux de Fond me frisent les moustaches. Je finis par remonter à 1500 et bascule sur le vallon suivant. J’arrive au Chasseral plutôt décontracté, sans réaliser que la brise et en train de s’inverser et je loupe la restit de milieu de vallée.
À peine posé, une voiture s’arrête. Un couple en descend. L’homme s’approche de moi, me demande si j’ai décollé du Chasseral. Je lui réponds que je viens d’un peu plus loin. Ses Yeux s’écarquillent en entendant le trajet que je viens d’effectuer. IL est parapentiste depuis 3 ans, mais a 30 ans de vol à voile. IL trouve le vol fantastique. Moi aussi !
Il me propose alors de me ramener jusqu’à St Imier. Il ne peut pas plus, il a des invités à la maison. Puis en route il me propose de me déposer au Chasseral ! « Je crois que la journée de demain sera bonne. Tu pourras essayer de rentrer chez toi! L’idée est géniale, le défi excitant, pourtant je n’arrive pas à dire oui. Je n’ai aucune raison valable de refuser. J’ai mon portefeuille, mes filles peuvent se débrouiller sans moi demain matin. Malgré tout, je préfère rentrer en stop.
Je marche le long de cette route, et à la nuit tombante, Pierre André s’arrête. Je crois que le premier sujet que nous abordons est celui du temps. Le temps qui passe, celui après lequel on court, comme pour le ralentir, celui qu’on ne rattrapera plus, celui qui nous reste. Pierre André me raconte son parcours. Dans les années 60, il est étudiant en école d’ingénieur. IL devient chercheur en micromécanique appliquée à l’horlogerie. Au fil des années, il se rend compte que la finalité de ses recherches est d’augmenter la productivité, mais paradoxalement, personne n’y trouve son compte : les entreprise travaillent plus vite pour produire plus, les cadences s’accélèrent, le stress augmente, le temps gagné ne profite à personne ! Il démissionne. Il commence alors une vie simple, dans la ferme familiale, se contentant de petits boulots de service. Il mange ce qu’il a, se chauffe quand il a du bois à brûler, et ça lui va bien. Plus tard, un ami à lui le convainc de postuler auprès des chemins de fer du canton. À tout hasard, il pose sa candidature. Il sera conducteur de micheline pendant une vingtaine d’années. « On perd beaucoup de temps à vouloir en gagner » est son crédo.
J’ai l’air malin avec mon Icepeak et mes barreaux d’accélérateur ! Quelle est la finalité de toujours plus de performance si ce n’est pour mieux goûter ce que la vie donne à vivre ? Suis-je plus heureux après 150 Km à tenir les rennes de mon oiseau de course qu’une Audrey qui glisse entre la Cote et Arbois dans l’air apaisé d’une fin de journée ? La beauté d’un vol se mesure t’elle à coup de paramètres de temps, d’altitude et de distance? Combien de fois suis-je obligé de me dire « regarde autour de toi, essaie au moins d’apprécier ce qui s’offre à toi et oublie un peu le prochain thermique, la barre des 100 km, et puis celle des 150 ! Quand bien même tu les franchirais, qu’en restera t’il ? On dira « il est fort, le Raph, il vole bien le raph, c’est l’meilleur le Raph » Est-ce pour cela que je vole ? Pierre André me parle de Fangio, le champion de course automobile. Qui se souvient de lui pour ses exploits sinon quelques fanatiques. Reviendrait-il aujourd’hui, serait-il capable de boucler un tour de circuit dans les bolides de notre époque ?
Le portable sonne. Agnès s’inquiète de ma situation. « J’arrive à Morteau – On vient te chercher !? » je lui rappelle qu’il y a des gens qui travaillent. Je trouverai un petit hôtel sur Morteau et finirai mon périple le lendemain. Pierre André dit alors d’une voix tranquille : « dite à votre amie que le monsieur qui vous conduit vous ramène chez vous. » Je reste interloqué ! « C’est très gentil mais ça fait beaucoup de kilomètres et franchement…. » Il m’interrompe. Il a le temps. Et puis il apprécie ma compagnie et il aime rendre service, partant du principe qu’un service rendu avec plaisir sert en premier celui qui le rend ! J’accepte. Nous continuons ensemble notre route, partageant nos regards sur la vie, nos joies et nos blessures. Il prend un café mais décline l’invitation à passer la nuit à la maison. Il a promis à son petit neveu de l’emmener à la piscine le lendemain. Il se reposera dans la voiture s’il a une « chute de paupières ».
Je ne regrette pas le Chasseral ! Je ne regrette pas la performance d’un retour au Poupet depuis les monts du Jura. Je n’apprécie peut-être pas toujours à leur juste valeur les vols qui me sont offerts de réaliser, mais cette récup là, je vous jure qu’elle va rester graver là longtemps !